Les compositeurs

Joseph BEER

Joseph Beer est né le 7 mai 1908 à Lemberg — la Lwow polonaise, annexée à l’Empire Habsbourg.

Très tôt, l’enfant s’intéresse à la musique — allant jusqu’à inventer, à l’âge de sept ans et sans jamais avoir pratiqué, une notation musicale bien à lui.

A 13 ans, devenu élève du conservatoire de la ville, il passe la majeure partie de ses nuits à composer et après un diplôme secondaire suivie d’une année de droit, direction Vienne et la prestigieuse Hochschule für Musik.

Beer passe une audition pour intégrer l’illustre établissement, à une époque ou les quotas d’entrée des juifs et des polonais de l’Empire dans une école strictement autrichienne sont sévèrement observés. Le talent du jeune homme fait l’unanimité : il est non seulement admis, mais on l’autorise à entrer directement dans la classe de composition du grand Joseph Marx, éminent compositeur viennois, dont l’autorité musicale ne fait aucun doute. Le jeune musicien sort diplômé de la Hochschule, promotion 1930.

Beer est engagé comme répétiteur et chef d’orchestre d’une compagnie de ballets, avec qui il entreprend de nombreuses tournées en Autriche, en Europe centrale et au Moyen Orient. A son retour à Vienne, il rencontre Fritz Loehner-Beda et lui interprète quelques unes de ses compositions : le parolier s’enflamme et s’improvise agent. Beer est introduit dans la meilleure société musicale viennoise et fait jouer en 1932 un triptyque symphonique — hélas réputé perdu — qui lui attira la bienveillance du fameux critique et réviseur des symphonies de Mahler : Erwin Stein.

En 1934, il compose Der Prinz von Schiras sur un livret de Fritz Loehner-Beda et Ludwig Herzer. La première à Zurich est une triomphe —le Theater An Der Wien, le Wielki de Varsovie et le Teatro Fontalba de Madrid reprennent aussitôt l’ouvrage qui entame une tournée triomphale de Stockholm jusqu’en Amérique du sud. Trois ans plus tard Polnische Höchzeit triomphe à nouveau à Zurich et doit être repris à l’An Der Wien. Mais suite à l’Anschluss les répétitions sont arrêtées et la pièce retirée de la programmation. Beer se réfugie à Paris, ou il vivote de divers travaux de copie et d’arrangements. Maurice Lehmann envisage – ainsi qu’en atteste la presse – de produire « Les Noces Polonaises » au Châtelet, mais le projet avorte suite à la victoire allemande.

Beer se réfugie alors à Nice. Il subsiste en acceptant un travail de nègre : écrire de la musique pour le compte d’un suisse-allemand qui se prétend compositeur. Il entendra un jour son œuvre, radiodiffusée, et créditée à son commanditaire. Mais Beer n’en abandonne pas pour autant sa muse personnelle : il se lance dans un singspiel nouveau, alors que les allemands envahissent la Zone Libre. Stradella in Venedig s’élabore en 1943 de cachette en cachette. Sans nouvelles des siens, il apprendra à la Libération que toute sa famille a été déportée et a péri à Auschwitz.

Pourtant, Beer compose encore, Beer compose toujours. En 1949, Stradella in Venedig est représenté avec succès à l’opéra de Zurich. Puis Beer se met, à l’instar de nombre de compositeurs juifs ayant échappé à l’Holocauste, en position de n’être jamais joué.

Joseph Beer s’éteignit le 23 Novembre 1987 à Nice : il avait, depuis l’Anschluss, composé trois opéras de plus, qui n’ont pas encore été joués.